"Je suis toi"
Un poème de Refaat Alareer
Un pas, deux pas
Regarde dans le miroir :
L'horreur, l'horreur !
La crosse de ton fusil M-16 sur ma pommette
La marque jaune qu'elle a laissée
La balafre en forme de balle puis
De croix gammée,
Serpentant sur mon visage,
Le déchirant chagrin qui s'écoule
De mes yeux, qui sourd
De mes narines, qui pénètre
Mes oreilles, qui inonde
L'espace.
Comme ça s’était passé pour toi
Il y a 70 ans
Environ.
Je suis toi.
Je suis ton passé qui te poursuit
Jusque dans ton présent et ton avenir.
Je me suis engagé comme tu l'as fait.
Je me bats comme tu l'as fait.
Je résiste comme tu as résisté
Et juste un instant,
Je voudrais prendre ta détermination
Comme modèle,
Si tu ne pointais pas
Le canon de ton fusil
Entre mes deux yeux
Ensanglantés.
Un pas. Deux pas
Le même fusil
La même balle
Qui avait tué ta mère
Et tué ton père
Tu les utilises
Contre moi.
Inspecte cette balle et le canon de ton fusil.
Si tu renifles, c’est l’odeur de ton sang et de mon sang.
C’est mon présent et ton passé.
C’est mon présent.
C’est ton futur.
C'est la raison pour laquelle nous sommes jumeaux,
Même parcours de vie
Même arme
Même souffrance
Mêmes expressions qui s’esquissent
Sur le visage du tueur,
Tout est pareil
Sauf que dans ton cas
À contre courant, La victime s’est transformée
En persécuteur.
Je te le dis.
Je suis toi.
Sauf que je ne suis pas le toi d'aujourdhui.
Je ne te hais pas.
Je veux t'aider à cesser de me haïr
À cesser de me tuer.
Je te le dis :
Le bruit de ta mitrailleuse
Te rend sourd
L'odeur de la poudre
Est plus intense que celle de mon sang.
Les étincelles déforment
Les expressions de mon visage.
Arrêterais tu de tirer ?
Juste un instant ?
Le ferais-tu ?
Tout ce que tu as à faire
C'est fermer les yeux
(la vision de ces jours-ci
aveugle nos cœurs).
Ferme les yeux, intensément
Afin de pouvoir visualiser
L’intérieur de ton être.
Puis regarde dans le miroir.
Un pas. Deux pas.
Je suis toi.
Je suis ton passé.
Et en me tuant,
Tu te tues.
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Traduction JCP
Image de Freepik (https://www.freepik.com/)
Le poète palestinien Refaat Alareer a été tué lors d'un bombardement sur la ville de Gaza, le 6 décembre 2023, ainsi que son frère, sa sœur et quatre des enfants de sa sœur.
Spécialiste de Shakespeare, Il était professeur de littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza.
Il était l’un des fondateurs de “We Are Not Numbers“, mettant en relation de jeunes écrivains de Gaza avec des écrivains anglophones reconnus du monde entier.
Lors d'une conférence TED à Shujaiya en octobre 2015, Refaat Alareer a déclaré :
« Pour nous, Palestiniens sous occupation, les histoires qu’on se transmet au quotidien transcendent la valeur didactique pour devenir un besoin urgent de s’approprier notre Histoire, ce qui redonne le pouvoir au peuple plutôt qu'à l'élite. Toutes les histoires que les gens peuvent se raconter à propos d’un territoire sont la preuve de leur droit à ce territoire ».
Le 1er novembre 2023, il republiait son poème “If I must die“.
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