Cerfs-volants et bougies
à la mémoire de Refaat Alareer, le jour de son anniversaire.
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Photo : Refaat Alareer, photo prise par l'auteur, Asem Alnabih
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Par Asem Alnabih, Mondoweiss, 23 septembre 2024
Cela fait dix mois que j'ai perdu mon maître et ami, Refaat Alareer. S'il était encore en vie, il serait toujours aussi attentionné avec nous. Parce que je suis encore en vie, je dois raconter son histoire.
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Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Refaat Alareer.
Cela fait dix mois que j'ai perdu mon maître et mon cher ami. Le 6 décembre, nous marchions ensemble sur le bord de la route, il me disait qu'il en avait assez de cette guerre. Quelques heures plus tard, il a été tué par une frappe aérienne israélienne, ainsi que son frère, sa sœur et quatre de ses neveux.
Un adepte fervent de l'adage selon lequel la plume est plus puissante que l'épée n’aurait jamais imaginé qu'Israël déploierait un missile pour s’opposer à ses nombreux tweets émis pendant la guerre. Cinq mois plus tard, le 26 avril, sa fille, son gendre et leur enfant nouveau-né ont été tués lors d'une frappe aérienne similaire.
S'il était encore en vie aujourd'hui, je ne serais pas en train d'écrire ces lignes. Je serais plutôt invité à le rejoindre au Al-Qalaq, un restaurant simple mais très couru, situé en bordure de mer, près da célèbre mosquée Al-Khalidi qui a été bombardée le 8 novembre. Al-Qalaq est connu dans la région pour n'avoir qu'un plat unique à son menu, le crabe. Le mot « Qalaq » se traduit ironiquement par « souci », mais à Gaza, il possède un sens beaucoup plus profond, limité à la région, englobant plusieurs idées en un seul mot ce qui est essentiel dans la vie quotidienne à Gaza.
Ou bien, après une nouvelle journée de travail bien remplie à enseigner la littérature anglaise à l'université islamique de Gaza, nous nous retrouverions au café Ristretto, non loin de là. Nous aurions célébré son anniversaire, entonnant des chansons alors que lui, rivé à son téléphone, serait en train d'écrire un tweet, ou de lire un article, ou de parler à un étudiant, ou de trouver une nouvelle idée pour légender une image à diffuser. Ou peut-être tout cela en même temps.
Si la guerre n'avait pas eu lieu, les enfants et les étudiants reprendraient les cours, juste maintenant, et Refaat préparerait des documents de cours pour eux. Il inciterait ses élèves à écrire le récit de leur histoire et de leur terre natale, à se faire les porte-voix de leurs grands-parents qui n'avaient jamais eu la chance d'apprendre à lire ou à écrire après avoir été expulsés manu militari de leurs maisons en 1948.
Refaat serait occupé soit à lire pour le travail, soit à tweeter des réflexions simples mais puissantes, soit à s’engager quelque part comme bénévole pour une bonne cause, soit à prendre le temps de s'asseoir avec sa fille aînée, Shaymaa, et de jouer avec son petit-fils qui venait de naîte, Abdulrahman. Je me demande à quoi il jouerait avec son petit-fils. Les initiatives de Refaat étaient toujours imprévisibles.
Il a toujours été notre guide et notre maître, et c'est peut-être ça qui les a effrayés, que la jeune génération côtoie quelqu'un qui lui apprenne à manier la plume contre l'occupation, à dénoncer ses crimes et à résister à son système raciste d'apartheid par tous les moyens possibles.
Qu'il s'agisse de contrecarrer la propagande israélienne ou de mettre en évidence son double langage, les écrits de Refaat étaient empreints d'humour, d'esprit et, à l'occasion, de commentaires féroces qu'il était difficile d'ignorer. Ses comptes sur les réseaux sociaux ont été limités plusieurs fois, les plateformes ont tenté de restreindre ses possibilités de diffusion, mais il s'est battu contre les restrictions et, à chaque fois, sa détermination à dénoncer les crimes de l'occupation n’en a pris que plus d’ampleur. Il n'a jamais hésité à faire entendre la voix de ceux qui disaient la vérité et à démasquer les faux amis qui étaient, en fait, des menteurs.
Si Refaat était encore en vie, il serait toujours aussi attentionné avec nous. Je n'oublierai jamais son geste, trois jours avant que je ne le perde. Refaat est venu chez moi après avoir appris le décès de ma grand-mère. Notre maison à al-Shujaiya était encore en grande partie intacte à l'époque, alors que lui avait été déplacé et naviguait entre le préau d'une école et les maisons d'autres personnes. Il est venu à pied pour me dire : « Je serai toujours là pour toi. Je suis à tes côtés. »
Alors, plutôt que de vous répéter à quel point il nous manque et quel genre d'ami il était, je vais m’efforcer de continuer à rendre des visites, de remonter le moral de ceux qui sont seuls. Je les encouragerai à garder la tête haute et à résister, comme lui le faisait de son vivant.
Je suis encore en vie et je dois raconter son histoire. Si sa maison n'avait pas été rasée, j'aurais vendu quelques unes de ses affaires, acheté un bout de tissu et quelques bouts de ficelle pour un cerf-volant et je l’aurais donné à un enfant orphelin à qui son père manque. Je lui aurais demandé de le faire voler pour lui donner un moment d'espoir.
Mais, cet enfant, c’est moi moi-même, regardant souvent le ciel, essayant de trouver de l'espoir sur fond de colonnes de fumée, au milieu des drones de surveillance et des avions de chasse.
Cher Refaat, tu me manques tellement, mon frère.
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Traduction : JCP
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Sur Refaat Alareer :
« Si je dois mourir, tu dois vivre... »
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