La jeunesse contre l'invasion (1)
Extraits de “LA JEUNESSE CONTRE L'INVASION : SUR LE SOL DE NOTRE PATRIE, DE JENIN À GAZA“, série de textes rédigés pendant le génocide israélien à Gaza, pendent les invasions continuelles à travers la Palestine et les attaques contre le camp de réfugiés de Jénine et le “Théâtre de la Liberté“.
Une initiative de L'École des arts de la scène du Freedom Theatre, et de "Artists on the frontline".
Sur une idée de Yasmin Sameer, comédienne et directrice de L'école des arts de la scène du Freedom Theatre.
Coordination du projet & traduction de l’arabe à l’anglais : Naqaa Samour
Chaque proposition est le fruit des pensées et des réflexions de l'auteur·e.
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Traductions en français : JCP
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TROIS TEXTES
écrits par des étudiant·es de L'école des arts de la scène du Freedom Theatre
LA LIBERTÉ EN ÉTAT DE SIÈGE
par Yahya Marei, 22 ans
Des toutes dernières attaques, celle-ci a été la plus éprouvante, car les champions de la liberté, ceux qui m'ont appris ce que signifie le mot liberté, ont été emprisonnés.
Malgré la pression que nous subissons, l'expression "La liberté en état de siège" m'est venue à l'esprit. Je me souviens de ce qu'Ahmad Tobasi a dit, en citant Juliano Mer-Khamis : "Le théâtre c’est ma Kalachnikov".
Au milieu de cette agitation intérieure, de ces sentiments de vengeance, une sensation irrésistible émerge, la puissance du théâtre.
Brusquement, une unité de l’armée israélienne déboule tout près de chez moi, arrête un groupe de jeunes hommes et de jeunes femmes, mes voisins. Comme je regardais par la fenêtre, un mélange d'émotions m'envahit. En regardant ma famille, je ressens de la peur. En regardant les soldats, je ressens l’énergie et la volonté de résister.
Un commandant sioniste m’interpelle, proférant des menaces, « Tu crées un tas de problèmes. Prend garde à toi. » Pendant ce temps, au milieu des coups de feu, le réseau d'information local à l’initiative des mères annonce : « Le Théâtre de la Liberté a été pris d'assaut, ses locaux ont été complètement dévastés. »
Je me souviens d'une pièce qui nécessitait qu’un acteur incarne un soldat israélien... Aujourd'hui, l’authentique soldat est à l’intérieur du théâtre et l'acteur, Jamal Abu Joas, est en prison. Les forces d'occupation tentent d’anéantir tous les symboles culturels et historiques de Jénine, en faisant des descentes dans les théâtres et en détruisant nos principaux repères.
J'appelle le monde entier à descendre dans la rue, à porter des vêtements palestiniens et à chanter des chansons palestiniennes. Je vous invite à exprimer notre culture dans le monde entier.
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DES RÊVES INSCRITS SUR UNE LISTE D'ATTENTE
par Aya Samara, 21 ans
"Jénine“ vit dans ma mémoire comme un mot lumineux, cher à mon cœur. Toute violation de l’intégrité de Jénine, en particulier des lieux artistiques tels que le Freedom Theatre, constitue une atteinte directe à mes aspirations, à mes rêves et à la personne que je suis en train de constriure.
Je considère le théâtre et le jeu théâtral comme un univers protégé qui me permet de m’exprimer. C'est là que je ressens la liberté et un sentiment de communauté. C'est là que mes désirs deviennent réalité.
Chaque invasion se termine par des bouleversements de notre réalité, une tentative de mettre fin à nos parcours et d’anéantir nos talents. Mais les détails et les souvenirs qui ont germé ne changent pas de visage, même lorsque les lieux qui les ont abrités sont détruits.
Tout ce qui arrive me renvoie à une réalité amère, inscrivant les rêves sur une liste d'attente qui peut mener à la mort. Mes sentiments ? peur dissimulée, colère rageuse, tristesse prolongée, désespoir en quête d'espoir. Je ne nie pas que l'angoisse m'accompagne en permanence. Je pense aux gens que j'aime. Je pense à mon être et à mon avenir incertain.
Même les pires cauchemars, ceux que nous n'avons pas encore faits, font partie de notre réalité.
Je suis incapable d’interpréter ce que vois.
De déterminer là où il y a le feu, ignorant quand viendra mon tour.
La plume posée sur mon bureau ne m'aide pas à m’envoler. Je n'ai pas de stylo pour décrire mes sentiments.
Pas d'instrument de musique dont je ferais vibrer les cordes de colère et de désespoir. Pas de couleurs avec lesquelles je peindrais la vérité.
Je ferme les yeux...
Je plonge dans mon imagination, j’essaie de créer un monde meilleur, un monde où il n’y pas besoin de masque.
Je trace des mots librement, sans entraves ni lois, là où il n'y a ni fantômes sans visages ni crimes sans empreintes digitales.
Un monde dans lequel je me sens en paix et en sécurité et où rien ne m'effraie.
Pour conclure, à tous les enfants et à toutes les personnes qui aspirent à voler mais qui se réveillent chaque jour face à une réalité immuable... À toutes les histoires qui s’arrêtent avant la fin et à tous les rêves inscrits sur la liste d'attente... nous méritons la vie, nous méritons que nos rêves se réalisent.
Contre vents et marées, l'espoir sait exactement comment pénétrer nos cœurs.
Au nom de la Palestine, nous créons, écrivons, dessinons, chantons, entrons en scène et témoignons.
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NOTES SUR UNE SUFFOCATION
par Chantal Rizkalla, 23 ans
Réflexions préliminaires
Je crains de m'exprimer librement, car je possède un passeport israélien. Mes déclarations peuvent me mettre en danger, car plus que jamais au cours de cette guerre, nous, les Palestiniens des Territoires de 48 ne pouvons exprimer nos opinions, nos convictions ou même la souffrance que nous endurons.
Les étudiants redoutent même d'assister aux cours en raison du racisme, les lieux de travail sont devenus dangereux, tout comme les rues.
De nombreux employeurs ont licencié des travailleurs simplement parce qu'ils étaient arabes, ce qui a causé un préjudice économique considérable à notre communauté.
Nous avons beaucoup souffert ; nos bouches, comme nos yeux et nos mains sont incapables d'exprimer tout ce que nous éprouvons.
Ils tentent d'effacer ce que je suis.
Lorsque je danse, j'ai l'impression qu'ils tiennent une corde, qu'ils essaient de m’attacher, tandis que je m'efforce de toutes mes forces de me libérer.
Reconnaissance et gratitude
En tant qu'élève comédienne du Freedom Theatre, j'apprécie énormément la chance qui m'est offerte de partager, en cette période de turbulence, nos vécus communs et l’attachement à mon pays d'origine.
Je vous remercie d'avoir pris en considération l’énorme impact des événements récents sur TOUS les Palestiniens.
Des expériences partagées dans un contexte difficile
Ces derniers mois, les défis auxquels tous les Palestiniens ont dû faire face ont été majeurs et généralisés.
L'attaque contre le Freedom Theatre fait écho à la lutte plus large à laquelle nous sommes confrontés quotidiennement - une attaque non seulement contre un bâtiment, mais aussi contre notre héritage culturel commun, nos aspirations et notre identité palestinienne.
Plus précisément sur l'attaque contre le théâtre
Le Freedom Theatre se présente comme l’étendard de la résilience et de l’affirmation culturelle palestiniennes.
Son attaque se répercute au-delà de ses murs, symbolisant une menace plus large contre notre droit d’ancrer nos racines, notre histoire et nos récits palestiniens au centre de nos pratiques artistiques.
Inquiétudes et solidarité
La peur des représailles, qu'il s'agisse d'arrestations ou d'autres formes d'oppression, est une préoccupation partagée par l'ensemble de notre communauté.
Nous sommes solidaires, artistes et non-artistes, dans notre engagement inébranlable à préserver notre héritage palestinien et à exprimer ce que nous éprouvons en commun.
Désirs d'unité et de reconnaissance
Nous aspirons à une reconnaissance internationale de notre lutte et à une solidarité sans faille avec la cause palestinienne.
Nous aspirons à un monde où la résilience et la richesse de notre culture palestinienne seront reconnues et respectées, où notre créativité s'épanouira malgré l'adversité et où notre voix collective sera entendue et valorisée.
Réflexions finales
Tout au long de ce parcours semé d'embûches, notre détermination à préserver notre identité palestinienne reste inébranlable.
Ensemble, efforçons nous d'amplifier la voix de la résilience, de défier l'oppression par notre force collective et d'inspirer l'espoir face à l'adversité.
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-> Retrouvez la suite : LA JEUNESSE CONTRE L'INVASION (2) ici et (3) ici
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