Mahmoud Darwich à l’Institut du Monde Arabe
Samedi 29 mars 2025
Mahmoud DARWICH n’a jamais quitté la Palestine et le cœur des Palestiniens
Mahmoud Darwich (1941-2008) est l’un des plus grands poètes palestiniens, mais également qui est le plus apprécié et le plus lu dans le Monde arabe.
Il est né en 1941 dans une famille de propriétaire terrien qui a dû après les premières heures de la Création d’Israël, en 1948, partir en exil. Il est un poète de Palestine. Il est un arabe de Palestine qui se sert de son art pour faire advenir une vérité, et le droit à recouvrer une terre et une liberté. Sa nationalité est résolument la poésie.
Le samedi 29 mars 2025, l’Institut du Monde Arabe a organisé sous la houlette de Farouk Mardam Bey, dans le cadre des « Samedis de la Poésie » une après-midi autour de la poésie de Mahmoud Darwich. Au jour où était célébré la Journée de la Terre en Palestine, un joli parterre était réuni : Elias SANBAR (poète, historien, ancien Ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO), Farouk MARDAM BEY (Directeur des Éditions Sinbad chez Actes Sud, écrivain, éditeur…), et enfin le jeune Wissam JOUBRAN au Oud ; membre du Trio Joubran qui a accompagné de très très près le poète. La salle du dernier étage était comble. De nombreuses personnes étaient assises à même le sol. L’ambiance était paisible et pleine d’émotion. Les participants ne sont pas venus écouter en français et en arabe un auteur de tracts mais pleinement un poète. Elias Sanbar était très ému, et a souhaité introduire l’après-midi, et a commenté les poèmes qu’il allait réciter en français tandis que Farouk allait les déclamer en arabe en étant accompagné par le très doux et fameux Wissam Joubran dans son interprétation au Oud.
L’an dernier je m’étais rendu à une exposition sur la Palestine, et parmi les nombreuses toiles exposées, autour d’une salle, je découvris sur un long pan de mur plusieurs photos : Lorca, Darwich, Neruda, Allende, Angel Parra. Je ne m’attendais pas à voir ces personnages au cœur de l’exposition ; et pourtant la proposition est d’importance, et de fait il y a une concordance des luttes et de la fibre poétique entre ces poètes.
Adnan Joubran (Trio Joubran) estime qu’il « était une couleur de notre drapeau, un artiste et un leader romantique : par ses valeurs humanistes, libertaires et politiquement engagées. Il était le Federico Garcia Lorca du Monde arabe ».
Au Proche-Orient et au Maghreb, les poètes jouissent d’une très grande popularité. Du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord, la poésie est perçue comme un art à part entière. Lorsque Mahmoud Darwich donnait un récital poétique au Caire, à Damas, à Beyrouth ou à Alger (mais aussi à Paris, à Arles ou à Londres), des foules considérables venaient scander ses vers avec lui.
Il a popularisé et démocratisé la poésie arabe comme me le fit d’une certaine manière Oulm Khalthoum. Comme lui elle déplaçait les foules. Il remplissait les stades, juste pour que l’on entende sa voix et sa poésie. Abdel Gamal Nasser disait d’elle qu’elle était la « Septième pyramide d’Égypte » ; porte-parole et voix de l’Égypte et du Monde arabe libre. Il est enraciné dans cette culture arabe et orientale tout à la fois. Ce qu’il a d’oriental en lui, la musicalité des mots employés, la sonorité des vers et des mots portent la sémantique et Verbe au service de la Terre et d’un Peuple. Comme l’explique Elias Sanbar, « dans la culture palestinienne, dans la mesure où c’est un peuple qui est privé de ses lieux, il peut habiter le poème. C’est pour cela que, par exemple, quand l’exil commence en 1948, les gens transportent avec eux des poèmes, et pas des romans ». Dans les établissements scolaires on apprend ses chansons que l’on récite ou que l’on chante. Il encense cette culture de la vie et les relations humaines qui sont des lieux de fraternité et de vérité.
Le poète aborde la solitude, l’ennui, l’angoisse, la peur que la nature, la beauté, la paix et la vérité. Il est surtout épris de liberté et de justice. Il déconstruit les idées préconçues que nombre d’Occidentaux ont échafaudé entre imaginaire et rêves au point d’oublier les peuples et leurs cultures.
« Et la terre se transmet comme la langue », écrit-t-il d’ailleurs dans un de ses poèmes, inspiré par la première Intifada, celle des pierres, déclenchée en 1987.
Quarante ans sont presque passés, et la situation en Palestine est toujours aussi tendue et incertaine. D’une certaine façon le mal et la gangrène d’une société palestinienne en attente d’un avenir se sont creusés et ont empirés. Néanmoins, malgré les bombes, les tracasseries administratives, la colonisation de nouvelles terres, des droits élémentaires bafoués l’espérance reste vive. Il porte en lui les gênes de la Résistance, et devient peu à peu la plume de l’OLP de Yasser Arafat. On se rappelle du discours de Yasser Arafat à l’ONU en 1974 où il déclarait : « Aujourd’hui, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et du fusil du combattant de la liberté. Ne laissez pas tomber le rameau d’olivier de ma main ». C’est Mahmoud Darwich qui avait écrit ce texte historique.
S’il est le poète de la résistance, il est tout autant celui de la fraternité, du déracinement, de la Mémoire et de l’Exil. Écrire des poèmes engagés et pour l’OLP, porter un drapeau, est très lourd en termes de responsabilités pour le poète qui aspirerait seulement à être un romantique investi d’un message d’amour uniquement. Il participera au colloque international de l’UNESCO « La paix, le jour d’après » (Grenada, les 8-10 décembre 1993) en compagnie de Yasser Arafat, Président du Comité exécutif de l’OLP. La position d’une icône est un message mais également un poids pour celui qui doit représenter plus que lui-même. Il dit : « Je n’ai nullement cherché à devenir, ou à rester, un symbole de quoi que ce soit. J’aimerais, au contraire, qu’on me libère de cette charge très lourde ». Effectivement, ce n’est pas toujours simple d’être du côté des « vaincus », d’être un apatride, d’être une icône de l’exilé et de résistant…
« Je vois mon lieu tout entier autour de moi. Je me vois dans le lieu avec tous mes noms, tous mes membres », note-t-il (Dans la gare d’un train tombé des cartes). Et dans son Sophocle il écrit : « Si cet automne est le dernier, écourtons/nos louanges aux vases anciens/sur lesquels nous avons gravé nos psaumes. (…) Nous, nous aimions les charrues plus que les glaives. » (Et la terre se transmet comme la langue et autres poèmes, de Mahmoud Darwich, traduit de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar, Actes Sud).
« Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Eschyle, le commencement de l’amour, l’herbe sur une pierre, des mères debout sur un filet de flûte et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants.
Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : la fin de septembre, une femme qui sort de la quarantaine, mûre de tous ses abricots, l’heure de soleil en prison, des nuages qui imitent une volée de créatures, les acclamations d’un peuple pour ceux qui montent, souriants, vers leur mort et la peur qu’inspirent les chansons aux tyrans.
Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : sur cette terre, se tient la maîtresse de la terre, mère des préludes et des épilogues. On l’appelait Palestine. On l’appelle désormais Palestine. Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame. »
(cf . Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite et autres poèmes. Ed. Gallimard. Paris, 2000).
Ses funérailles seront nationales, et réuniront pendant 3 jours, à Ramallah une foule immense. Edward Saïd est l’autre homme palestinien de premier rang qui sera un porte-voix de cette Palestine « en souffrance ».
« Toi le héros ensanglanté des longs commencements, dis-nous, longtemps encore notre voyage ne sera que commencement ? »
« Je vois mon lieu tout entier autour de moi. Je me vois dans le lieu avec tous mes noms, tous mes membres » (in. « La gare d’un train tombé des cartes »). Et dans son Sophocle il écrit : « Si cet automne est le dernier, écourtons/nos louanges aux vases anciens/sur lesquels nous avons gravé nos psaumes. » C’est l’enfant de Galilée qui parle, celui qui prévient : « Nous, nous aimions les charrues plus que les glaives. »
Mahmoud Darwich reste parmi son Peuple. Sa parole, son engagement et ses poèmes restent pour la Palestine, pour les peuples opprimés un comme l’étendard de la justice et de l’autodétermination, du droit et de la liberté. Il veille et il demeure…
Patrice SABATER, le 9 avril 2025
Avec l'autorisation de l'auteur. Lire l'original sur son blog Made in Ailleurs
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