Au bord de l’abîme
Un poème d'Asmaa Dwaima
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Illustration : Iván Solbes / Flyers for Falastin - relevée sur "We are not numbers"
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Asmaa Dwaima est une écrivaine, poète, artiste et dentiste palestinienne de Gaza. Après avoir été déplacée à plusieurs reprises depuis octobre 2023, elle vit actuellement avec sa famille dans le sud de la bande de Gaza. Son travail créatif aborde les thèmes de la perte, de la résilience et de l'identité, appréhendant la persévérance tenace du peuple palestinien dont elle s'emploie à préserver l’histoire et l’humanité dans un contexte de conflit permanent.
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AU BORD DE L’ABÎME
Je me tiens sur la lisière de la vie,
ténue
comme le fil du rasoir.
Je vacille
entre
le passé et le présent.
Le passé est une pièce
aux murs de laquelle s’accrochent des éclats de rire,
et où, dans un faible écho,
s'attardent les modulations du chagrin.
Sur son sol résonnent les pas joyeux des amies,
légers comme s'ils touchaient à peine terre
dans une agréable fluidité.
Pas de plafond,
un plafond sans limites
le firmament des rêves.
Le passé est une chambre aux fenêtres grandes ouvertes sur l'espoir
par lesquelles il s’introduit,
nourrissant
les graines des jeunes rêves
jusqu'à ce qu'ils s’épanouissent.
Je suis reliée à ce passé
par un fil fin comme un cheveu
qui peut se rompre à tout moment.
Je suis reliée au présent
par une corde rouge,
une corde, épaisse et tendue,
le nœud coulant de la fatalité
se resserrant de jour en jour.
Son nom est sang,
son nom est débordements.
J'oscille
comme le balancier d'une horloge ancienne -
jusqu'à ce que je plonge dans un abîme
de douleur infinie,
de perdition,
qu’on nomme guerre.
Dans cet abîme se déchaîne une tempête magnétique,
se tordant et s'enroulant en spirale,
aspirant tous ceux qui, comme moi, tombent dedans.
Nous sommes piégés.
Elle déchire les chairs,
la mémoire,
jusqu'à ce qu'il ne reste
que les ombres des maisons
qui s'élevaient autrefois,
et le murmure des noms des disparues :
Eman, qui rêvait de construire une famille,
dont le rire emplissait la pièce,
dont la voix était un rayon de soleil qui traversait la fenêtre ;
Nour qui espérait devenir dentiste.
Je vois encore son sourire dans l'embrasure de la porte,
je sens encore la chaleur de sa main dans la mienne,
son souvenir s'estompe,
une ombre s'évanouit.
Je cherche la lumière à tâtons,
mais elle est avalée par la béance du chagrin,
par le silence des mortes
qui riaient autrefois,
qui rêvaient autrefois.
La guerre, une pieuvre
aux longs bras sinueux,
entoure ma poitrine,
et la serre jusqu'à ce que ma respiration
devienne sacadée
me déchirant les poumons,
devenus délicats,
fragiles comme des ballons de baudruche
pouvant se rompre
à la première explosion.
Et maintenant, la guerre
est une vague, colossale, impérieuse
démesurée, redoutable
qui ne se retirera pas tant qu'elle n'aura pas
englouti tous ceux qui y tombent.
Je me tiens à nouveau sur la lisière,
mais cette fois je ne balance pas.
Je perçois le murmure des noms
qui s'évanouit dans le vent,
et j’éprouve la descente
vers les ténèbres
qui ne semble jamais devoir se terminer.
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Eman Saqallah, 25 ans, a été tuée le 19 octobre 2023, avec ses deux enfants, Zaid et Omar, et plusieurs membres de sa famille. Elle était pleine d'énergie et de passion, aimait la vie et le rire, et chérissait les beaux vêtements.
Nour Yaghi, 25 ans, a obtenu son diplôme en 2022 et a terminé son stage en septembre 2023. Noor a été tuée le 22 février 2024 dans le centre de la bande de Gaza. Elle avait un esprit joyeux et aimait la vie, et elle aspirait à devenir une dentiste.
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Traduction : JCP
Source : The edge of descent in "We are not numbers", 20/11/2024
“We Are Not Numbers“ :
De jeunes écrivain·es palestinien·nes, principalement de Gaza, délivrent leurs récits et plaident pour leurs droits d'humains. "We are not numbers" met aussi en relation ces jeunes écrivain·es avec des écrivain·es anglophones reconnu·es du monde entier.
« Il n’existe pas de “sans voix“. Il n'y a que des personnes délibérément réduites au silence ou systématiquement non écoutées. » - Arundhati Roy, écrivaine et militante indienne.
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