La fin de la récolte des olives
Par Nadera RAIED MUSHTAHA (Bande de Gaza)
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Photo : Récolte d'olives en Palestine / Aallen
Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported
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Les traditions de notre famille et la vie de mon grand-père ont été détruites par la guerre.
Gaza, le 17 août 2024
À la mémoire de mon grand-père, Abdullah Qandeel (1946-2024)
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Il y a quinze ans, quand j'étais enfant, notre famille se réunissait sous les branches foisonnantes des oliviers, des orangers et des sycomores dans la vaste propriété de nos grands-parents dans la partie orientale du quartier de Shuja'iyya de la ville de Gaza. Bruissant du murmure des feuilles et des chants joyeux des oiseaux, c'était un sanctuaire où se forgeaient de précieux souvenirs - un endroit où les battements réguliers du cœur de nos grands-parents semblaient se répercuter jusque dans l'air que nous respirions.
Chaque année, en novembre, la récolte annuelle des olives était l'occasion pour notre clan de se réunir. Les sons de nos rires et de la convivialité emplissaient l'air tandis que nous célébrions la saison de l'huile d'olive et ses traditions. Endossant nos tenues de travail, nous nous rendions tous chez nos grands-parents : mes parents, mes frères et sœurs et moi-même, ainsi que mes oncles, tantes, cousines et cousins. Ma mère et mes tantes commençaient par préparer de délicieux fatayers (chaussons salés) et du thé à la menthe. Ensuite, nous nous dirigions tous vers l'oliveraie qui se trouvait à quelques mètres de là.
Je nous vois encore, mes cousins et moi, en train de nous précipiter vers la masse verte des arbres et la chaise blanche où mon grand-père avait l’habitude de s'asseoir, sous le ramage des oiseaux. Et là, au milieu de la scène, se tenait mon oncle, captant avec son appareil photo les sourires qui animaient nos visages, immortalisant l’enchantement de ces instants fugaces.
Le grand-père de Nadera, Abdullah Qandeel,
assis sur sa chaise blanche dans l'oliveraie.
Photo fournie par Nadera Raied Mushtaha
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Comme des abeilles affairées, nous faisions la course entre les oliviers pour remplir nos seaux, nous riions et nous nous racontions des histoires tout en ramassant les olives. Mon grand-père disait : « Le premier qui remplit son seau aura un prix ! ».
Je nous entends encore chanter les chansons traditionnelles de la récolte. Les femmes commençaient à chanter et les hommes se mettaient à danser avec les bâtons qu'ils utilisaient pour faire tomber les olives des arbres. Ils riaient en dansant la dabke, la lumière du soleil éclairait leurs visages luisants de sueur.
Les hommes plongeaient leurs bâtons entre les feuilles des oliviers, secouaient les branches pour que les fruits tombent sur nous comme une pluie battante ce qui ne nous empêchait pas de continuer à rire.
À la tombée de la nuit, nous rentrions dans la maison de nos grands-parents, un havre de paix. Chacun portait les seaux d'olives qu’il avait ramassées, puis nous étalions les olives sur le sol, composant un tapis vert. Nous les triions, les unes pour les conserves, les autres pour le moulin à huile.
Nadera enfant dans l'oliveraie,
photo prise par son oncle.
Photo fournie par Nadera Raied Mushtaha
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Est-ce que tout cela est révolu ?
Avec le début de la guerre qui a suivi le 7 octobre 2023, la plupart des familles ont été forcées de quitter leur habitation. C'est la plus terrible des guerres, plus terrible que toutes celles que nous avions connues auparavant.
Il y a eu des guerres en 2008, 2012, 2014, 2021 et 2022, ainsi qu'une brève guerre en mai 2023. Mais cette nouvelle guerre est la plus terrible. Elle assassine la fleur de notre jeunesse, nos enfants, les femmes et les personnes âgées. C'est une guerre de famine qui a commencé au nord de Gaza et qui se poursuit. C'est une guerre de sang dans les rues et d'enfants morts sous les décombres.
Après que la famille de ma mère eut quitté sa maison, comme tant d'autres familles à Gaza, elle s'est installée dans la maison de ma tante, abandonnant ses oliviers et ses orangers. Elle a dû évacuer plus d'une fois, retournant brièvement chez elle pendant les cessez-le-feu humanitaires, puis se déplacer d'un endroit à l'autre, d'une maison à l'autre, d'une tente à l'autre.
Une nuit noire de janvier, alors que mes grands-parents et ma plus jeune tante logeaient avec nous dans un immeuble à Al-Tayaran, je suis restée éveillée à écrire pendant que le reste de ma famille dormait. Alors que je travaillais sur mon récit, j'ai entendu mon grand-père s’agiter dans son lit, se tournant d'un côté et de l'autre. Soudain, il se redressa et tourna son regard vers moi.
« Qu'est-ce que tu fais, Nadera ? demanda-t-il.
« J'écris une histoire, Habibi », répondis-je.
Il se recoucha, mais ses yeux restaient ouverts. Je commençai à ressentir de l’inquiétude. Pourquoi ne fermait-il pas les yeux ? Y avait-il quelque chose de grave dont il ne nous avait pas parlé ?
Le lendemain matin, nous avons trouvé mon grand-père en train de pleurer comme un jeune enfant, ses larmes coulaient à flots. Mon cœur s'est brisé en voyant mon grand-père pleurer ainsi devant nous tous. Alors, je lui ai demandé : « Qu'est-ce qui ne va pas, Habibi ? »
Il répondit : « Dans mon rêve, j'ai vu que des chars israéliens parcouraient mon oliveraie en vrombissant. Ils roulaient en tous sens, ils détruisaient tout et mettaient le feu aux arbres. J'ai vu mon verger en ruine, avec de la fumée, de la poussière et des pierres disséminées. Je me fais tellement de souci pour mon verger ; c'est un héritage de mon père. Ces vieux oliviers sont l'histoire de notre famille. J'espère que ce que j'ai vu dans mon rêve n'arrivera pas ». Il a dit cela sans cesser de pleurer.
Quelques heures plus tard, un ami de mon grand-père l'a appelé pour l’informer de ce qui était arrivé à sa propriété. Il lui apprit que les arbres avaient disparu et que le verger était devenu un désert aride. Le cauchemar de mon grand-père était devenu réalité.
Trois mois après son cauchemar et la disparition de ses oliviers, mon grand-père est lui-même monté au ciel. Il a souffert de la famine et des suites de l'amputation de son pied droit. Il disait toujours qu'il était prêt à vivre les épreuves endurées par ses proches et ses oliviers. Il disait qu'il resterait stoïque. Mais les chars ont détruit ses arbres, et maintenant cette guerre l'a tué lui aussi.
Le visage avenant de mon grand-père, ses mains robustes et ses étreintes chaleureuses ont disparu. Il n'y a plus d’histoires à raconter, et la récolte annuelle des olives, qui était autrefois une fête joyeuse, n'est plus qu'un souvenir. Notre vie à Gaza n'est plus que l'ombre d'elle-même, privée des rires, de la convivialité et des précieux rituels qui lui donnaient un sens. La terre même qui avait nourri les racines de notre famille a été ravagée, laissant la place à un paysage stérile et désolé qui bafoue la mémoire de ce qui a été.
Mon grand-père ne méritait pas une telle fin.
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Traduction : JCP
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Source : We are not numbers
Nadera Mushtaha est une poétesse et une écrivaine qui est née et a grandi dans le quartier de Shujaiya, dans la ville de Gaza. Sa famille est originaire de Gaza.
À l'automne 2023, elle a commencé sa troisième année au département d'enseignement de l'anglais à l'université islamique, où elle était l'étudiante du professeur et poète Refaat Alareer.
La plupart des écoles de Gaza ayant été détruites pendant la guerre, elle organise des cours d'anglais pour les enfants de son quartier.
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