PALESTINIEN
POÈME PAR IBRAHIM NASRALLAH
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Ibrahim Nasrallah est né en 1954 de parents palestiniens déplacés en 1948. Il grandit dans le camp de réfugiés palestiniens d'Al Wehdat au Sud-Est d’Amman en Jordanie. Il a d’abord été enseignant en Arabie saoudite puis, à partir de 2006, il s’est consacré à l’écriture.
Il a publié quatorze recueils de poésie et vingt-deux romans. Quatre de ses romans et un recueil de poèmes ont été traduits en anglais dont “Time of White Horses“, sélectionné pour le prix international de la fiction arabe en 2009. Il a remporté huit prix littéraires, dont, en 1997, le prestigieux “Sultan Owais Literary Award for Poetry“. En 2020, il est devenu le premier écrivain arabe à recevoir pour la deuxième fois le prix Katara du roman arabe pour son roman “A Tank Under the Christmas Tree“.
Ibrahim Nasrallah est également artiste et photographe. Ses photographies ont été présentées dans quatre expositions individuelles.
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Palestinien
Je suis resté silencieux, ça n'a pas marché.
J'ai parlé, ça n'a pas marché.
J'ai maudit, je me suis excusé, ça n'a pas marché.
J'avais à faire, je faisais semblant d'avoir à faire... ça n'a pas marché.
Je me suis assis, j'ai marché, j'ai couru. ça n'a pas marché
J'ai frissonné et me suis réchauffé. ça n'a pas marché.
Je me suis déshydraté jusqu'à me craqueler, j'ai bu jusqu'à me noyer,
Je me suis désintégré comme un fœtus, comme son père, ses frères, ses sœurs et sa mère.
Je me suis rassemblé dans un linceul fait de vieux rideaux,
Ça n'a pas marché.
J'ai trébuché plus que ne me suis tenu debout, et me suis cependant relevé,
Et ça n'a pas marché.
J'ai prié jusqu'à ce que, tel un prophète, je devienne un verset dans le Livre,
Et ça n'a pas marché
J'ai ramé jusqu'à atteindre l’enfer,
J'ai imploré et supplié, ça n'a pas marché.
Je me suis emporté, je me suis calmé, ça n'a pas marché
Je me suis souvenu de ce qui était éloigné dans le temps, et j'ai oublié ce qui était récent.
Ça n'a pas marché
J’ai fraternisé avec un monstre et j'ai combattu un monstre.
Parfois, quand j’étais un enfant, j’ai été tué, parfois, j'ai survécu.
Dans les deux cas, j'ai vieilli parce que j’ai vu ce que j'avais vu,
Et ça n'a pas marché.
Je me suis précipité, j’ai battu en retraite, ça n'a pas marché
J'ai lutté contre le vent qui soufflait contre moi,
Et je me suis réconcilié avec une vague qui monte et qui monte.
Il y avait des chevaux dans mon cœur
Dans la nuit, mon chagrin était la nuit,
Et ça n'a pas marché.
J'ai mangé, j'ai été affamé, j'ai vomi
Ça n'a pas marché.
J'ai pris mon ombre dans mes bras, puis je l'ai châtiée et je me suis châtié moi-même.
Ça n'a pas marché
J'ai salué une femme égarée dans la rue.
Je me suis disputé avec un homme souriant du quartier,
Et avec un oiseau qui chantât brièvement dans le parc,
Et ça n'a pas marché.
J'ai fermé toutes les fenêtres de ma maison et je les ai ouvertes.
J'ai écrit sur la mort quand elle est miséricordieuse,
Sur la mort quand elle est futile,
Sur la mort quand c'est l'enfer,
Sur la mort quand elle est le seul chemin. Enfin
Sur la mort quand elle est légère et douce,
Sur la mort quand elle est lourde et sombre,
Et ça n'a pas marché.
J'ai écrit sur le fleuve et la mer, sur le lendemain et le soleil,
Ça n'a pas marché.
J'ai écrit sur l'oppression et la perversité, sur la pureté aussi. ça n'a pas marché
J'ai dormi sans pain.
J'ai rêvé sans rêve.
Je me suis réveillé sans que ne me manquent mes mains, ni mes pieds, ni mon reflet dans le miroir
Ni ce que j'appelais mon âme.
Je suis mort et j'ai vécu.
Je me suis moi-même incendié et moi-même éteint avec mes propres cendres,
Et ça n'a pas marché.
Je suis tous ces éléments, Seigneur : le feu, la terre, le vent et l'eau.
Le cinquième est une douleur qu’on ne voit pas dans les chants aveugles, le sixième est la solitude, et le septième, depuis que j’ai été abattu, est le sang.
Quand j’ai été brûlé, les lettres de mon nom libre se sont disposées, comme un papillon :
P, A, L, E, S, T, I, N, E.
Mon toit a été projeté dans le ciel suivi d’un mur, d’une fenêtre,
Et du plus jeune de mes enfants,
Je me suis concentré dans le G et le A et le Z et le A.
Je suis devenu Gaza.
Un millier d'avions de guerre ont tourné autour de moi et m'ont frappé.
Je me suis effondré encore et encore,
Puis je me suis redressé dans un cri. J'ai hurlé,
Et ça n'a pas marché.
J'ai perdu la foi et j'ai cru, puis j'ai perdu la foi et j'ai cru à nouveau,
Et j'ai perdu la foi et j'ai cru, puis...
Et ça n'a pas marché,
Et ça n'a pas marché.
Un expert indigne m’interroge :
Tout ça... Pourquoi ?
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Relevé dans Protean mag, 24/03/2024
Traduction de l’arabe en anglais : Huda Fakhreddine, professeure associée de littérature arabe à l'université de Pennsylvanie. Elle est écrivaine, traductrice et auteure de plusieurs ouvrages scientifiques.
Traduction en français : JCP
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