Résister avec le crayon :
L'art comme langage d'espoir dans la bande de Gaza
Dessins et peintures : Basel Elmaqosui
Par Giovanni Vigna, New Arab, 16 avril 2024
Giovanni Vigna est un journaliste italien indépendant spécialisé dans la politique mondiale et du Moyen-Orient.
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Basel Elmaqosui espère conserver des souvenirs durables en dessinant et en enseignant l'art aux enfants, alors que les bombes israéliennes continuent de détruire les rêves et la réalité à Gaza.
« J'essaie de préserver mon humanité en dessinant et en enseignant aux enfants », explique Basel Elmaqosui, un artiste palestinien vivant à Gaza qui a survécu aux bombardements.
« Je cherche des boutiques qui vendent du matériel de dessin », explique-t-il. « J'ai réussi à acheter du papier et des fusains, mais je ne peux pas peindre avec des couleurs : tout ce qui m'entoure est noir, effrayant, terrible et violent. »
« Cela m'a amené à représenter des scènes de la vie quotidienne au fusain », explique Basel.
Âgé de 53 ans, Basel vit à Rafah, près de la frontière égyptienne, avec sa femme, ses cinq enfants et d'autres membres de sa famille.
Quitter la Bande de Gaza est très difficile et coûteux. « Le coût de l'organisation du voyage s'élève à 10 000 dollars par personne », rappelle Basel.
Malgré les difficultés, l'artiste palestinien cherche à retrouver un peu de vie normale en continuant à créer.
« Je travaille actuellement avec un groupe d'enfants dans des abris.
Je n'arrive pas à dormir à cause des bombardements ; cela provoque beaucoup d'anxiété et de peur, alors le dessin est la seule distraction pour moi. »
Les conditions de vie à Gaza sont terrifiantes, la mort rôde à chaque instant à chaque endroit. « J'ai perdu un grand nombre de membres de ma famille et de mes amis. J'essaie de peindre pour préserver ma dignité, mais j'ai beaucoup de mal. »
« Je suis un être humain, je pense que je mérite de vivre. Je me soucie des besoins fondamentaux de mes proches, comme trouver de l'eau, de la nourriture et même la possibilité d'utiliser un cabinet de toilette. »
Le travail de Basel est remarquable, il produit des œuvres d'art qui documentent la vie des gens et leurs luttes quotidiennes. Il est devenu connu pour la rapidité d’exécution de ses dessins.
« Je me suis retrouvé à dépeindre les cauchemars qui me hantent.
Dans les rêves de mes enfants et de ma femme, il n'y a que de la terreur et de la peur. J'aimerais pouvoir utiliser des mots plus doux, mais ce n'est pas possible », explique-t-il.
« J'ai créé des œuvres que j'ai intitulées “Fragments“ : le long des rues, il y a des fragments partout, des éclats d’obus qui détruisent les bâtiments et déchirent les corps en morceaux. »
Basel utilise également la notion de "fragments" pour faire référence au peuple palestinien lui-même, qui est effondré et fracturé.
« Tout est fragmenté - les êtres humains, les bâtiments, les rues, les arbres, les tentes et même les droits de l'homme. La vie est devenue une collection de fragments et de lambeaux éparpillés. »
« Qui agrègera les fragments d'un enfant qui a perdu ses parents, d'un homme qui a perdu sa femme ou d'une mère qui a perdu ses enfants et son nouveau-né ? Pendant la purification ethnique qu'Israël mène contre le peuple palestinien, j'essaie de rassembler les fragments disséminés pour créer une image précise et complète », explique Basel.
Avant le début de la guerre, Basel vivait à Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza. Après le 7 octobre, sa vie, comme celle de milliers d'autres Palestiniens, a basculée dans une quête permanente d'un abri, de nourriture et d'eau.
Un atelier avec Basel Elmaqosui
Compte instagram de Basel Elmaqosui
« Chaque jour, nous essayons d'échapper à la mort. Il n'y a pas de porte de sortie pour plus de 1,2 million de personnes déplacées, entassées dans cette petite ville. Les bombardements incessants, qu’ils soient d’origine terrestre, aérienne ou maritime, nous poursuivent, laissant derrière nous des morts, des blessés, des handicapés et des personnes traumatisées qui n'ont aucune chance de guérison », explique-t-il.
Quelques jours après son arrivée dans le centre d'accueil de l'UNRWA, des mères ont demandé à Basel d'apprendre à dessiner à leurs enfants.
L'artiste a observé que plusieurs enfants passaient leur temps à dessiner leurs rêves et leur désir de rentrer chez eux.
« Un enfant a dessiné un chat », se souvient-il, expliquant que lorsque la nourriture pour l'animal s'est épuisée et que son prix a dépassé les 50 dollars, la famille de l'enfant a été contrainte de l'abandonner. »
« Même les mères ont participé à la séance de dessin », a déclaré Basel. « Elles ont dessiné en pleurant et j'ai pleuré avec elles ».
Basel est convaincu qu'en temps de guerre, l'art est indispensable, comme l'eau, pour vivre. « L'art est un moyen de communiquer sans parler, c'est un langage, un moyen qui permet à l'artiste et à ceux qui l'entourent de s'accrocher aux aspects positifs de la vie et de surmonter la peur. »
« Avec mes ateliers, je souhaite aider les enfants à minorer leur terreur et leurs angoisses. Le dessin est un outil propice à l’épanouissement de la créativité, à l’interactivité avec le monde et à la formulation de ce que l'on pense de manière originale », ajoute-t-il.
« L'art est le langage de la paix, de l'amour et de la vie. Le dessin et l’activité ludique avec les enfants sont les seuls outils de résistance dont je dispose pour améliorer les conditions de vie ».
Basel explique comment il a créé plusieurs œuvres qui évoquent la guerre. « J'essaie de peindre "l'odeur des martyrs", des personnes tuées. L'idée semble étrange, la peinture est perçue avec les yeux et peut-être avec le toucher, mais comment percevoir l'odeur dans une représentation picturale ? C'est là qu’entrent en jeu les moments que nous traversons, la couleur, les sensations, l'amour et le sentiment d'appartenance à ce lieu. »
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Ce n'est pas la première fois que l'artiste perd sa maison suite à des bombardements ; en 2008, la maison de Basel a été réduite à l’état de ruines avec ses œuvres à l’intérieur. Heureusement, l'artiste a pu récupérer certaines de ses œuvres et il a pu les exposer.
En 2003, Basel a fondé, avec quelques collègues, le collectif d'artistes “Shababeek“ : l'idée fondatrice est que le langage de l'art peut révéler ce qui se cache derrière le regard superficiel des médias, qui diffusent une image négative et déformée de Gaza.
Ces derniers mois, la bande de Gaza est devenue synonyme de mort et de destruction. « Malgré la guerre, affirme Basel, Gaza est un endroit magnifique, avec des gens qui aiment la paix, qui espèrent un avenir meilleur et qui recherchent la beauté en toutes choses. »
Traduction : JCP
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