Gaza – Le silence sélectif de l’Académie
Tribune ouverte adressée à l’Académie des sciences. Signée à ce jour par plus de 500 universitaires et chercheurs, cette tribune dénonce le contraste saisissant entre la réaction rapide de l’institution en faveur des scientifiques ukrainiens et son silence face à la destruction des universités de Gaza et aux crimes internationaux dont sont victimes les Palestiniens.
Madame la Présidente,
dès le 6 avril 2022, soit moins de deux mois après le début de l’agression russe contre l’Ukraine, l’Académie des sciences créait un fonds spécial de 100 000 € « destiné à aider les scientifiques ukrainiens » et un « comité des scientifiques pour l’Ukraine » et déclarait : « Profondément choquée par l’invasion de l’Ukraine par l’armée de la Fédération de Russie, l’Académie des sciences a exprimé publiquement à plusieurs occasions sa solidarité envers les Académies ukrainiennes … et, à travers elles, envers tous les scientifiques et, plus généralement, le peuple ukrainien ».
Nous nous réjouissons de cette expression de solidarité, justifiée par la gravité de l’agression russe, qui a conduit la Cour pénale internationale (CPI) à émettre un mandat d’arrêt contre le président russe pour crimes de guerre. Il est donc sain que la plus haute institution scientifique française exprime sa solidarité avec les victimes de ces crimes.
Mais le contraste est saisissant avec le silence de l’Académie des sciences après l’émission par cette même CPI de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien et son ministre de la défense pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et après la multiplication d’alertes juridiques solennelles. Outre les mandats d’arrêt de la CPI, la Cour internationale de Justice (CIJ) a, dès janvier 2024, conclu à l’existence d’un « risque réel et imminent » (§74, p.28) de génocide à Gaza et ordonné des mesures conservatoires. Puis, dans un avis du 19 juillet 2024, elle a jugé l’occupation israélienne illégale (§2, p.5). En conséquence directe de cet avis, un collectif de plus de trente experts des Nations Unies – dont vingt-trois Rapporteurs spéciaux – ont, le 18 septembre 2024, explicitement appelé à « suspendre […] les relations académiques avec Israël qui pourraient contribuer à sa présence illégale et à son régime d’apartheid dans le territoire palestinien occupé ».
Qu’attend donc l’Académie des sciences pour exprimer sa solidarité avec Gaza, comme elle l’a fait pour l’Ukraine ? Pourtant, le comité de défense des scientifiques de l’Académie des sciences a pour mission, selon son rapport de l’année 2024, de défendre les scientifiques victimes de violations des droits humains tels que « le respect de l’intégrité physique et mentale de la personne humaine (torture, conditions de détention dégradantes, absence de soins médicaux), le droit à la liberté d’expression et d’opinion, l’application des règles de procédure judiciaire (détention arbitraire, absence de communication avec un avocat) ». Comment ce comité peut-il rester inactif alors que ces droits sont systématiquement bafoués à Gaza et en Cisjordanie, et que les scientifiques ne sont pas épargnés (son rapport de 2024 mentionne bien l’existence d’un « conflit entre Israël et Gaza », mais ne mentionne aucune action entreprise par ce comité…) ? Comment justifier ce silence de l’Académie des sciences, quand partout dans le monde, y compris en Israël, la communauté scientifique se mobilise pour dénoncer les crimes examinés par la CIJ (voir par exemple ce texte, signé par 1200 scientifiques israéliens, ou celui-ci, signé par 4704 scientifiques du monde entier).
En deux ans, la population de Gaza a été décimée, au sens premier du terme, puisque 10 % environ des habitants de Gaza ont été tués ou blessés (au décompte de 70 000 morts recensés par le système de santé palestinien, jugé fiable par les institutions internationales, il convient d’ajouter les morts enfouis sous les décombres ainsi que plus de 170 000 blessés, pour une population qui comptait initialement environ 2,5 millions de personnes). Les survivants sont affamés, assoiffés, terrorisés, humiliés, sans abri, et confrontés à une lutte quotidienne pour leur survie, quand ils ne sont pas emprisonnés sans savoir pourquoi, et trop souvent torturés (combien d’universitaires et d’étudiants palestiniens dans les prisons israéliennes ?). Les 12 universités de Gaza ont été pulvérisées. Ce n’est pas minimiser le drame vécu par les Ukrainiens que de reconnaître que le martyre des habitants de Gaza est sans commune mesure. On s’attendrait donc à une réaction encore plus forte de l’Académie des sciences en faveur des scientifiques palestiniens.
Faut-il conclure de l’incapacité de l’Académie des sciences à s’exprimer sur le sujet et à mobiliser des fonds pour les scientifiques palestiniens et leurs familles que, pour elle, la vie d’un Ukrainien vaut infiniment plus que celle d’un habitant de Gaza (100 000 € mobilisés d’un côté, zéro de l’autre…) ? Qu’attendez-vous pour créer un « comité des scientifiques pour Gaza » ? Vous n’aviez pas eu à demander des sanctions contre la Russie, en particulier la suspension des relations académiques, puisque le gouvernement français l’avait fait moins d’une semaine après le début de l’agression russe. Qu’attendez-vous pour demander au minimum la suspension de l’accord d’association entre Israël et l’Union européenne et la suspension des relations académiques avec les institutions dépendant de ce pays ?
Vous affirmez avec raison que l’Académie des sciences a vocation à conduire « des réflexions relatives aux enjeux politiques, éthiques et sociétaux, actuels ou futurs ». De fait, l’Académie des sciences joue le rôle d’un phare pour la communauté académique française. Mais il y a pire que de ne pas avoir de phare : c’est d’avoir un phare qui n’éclaire qu’une partie des écueils… « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Mais qu’aurait pensé Rabelais d’une science dotée d’une conscience borgne et hémiplégique ?
Madame la Présidente, l’Académie des sciences n’a pas pu, pas su, ou même peut-être pas voulu, défendre avec la même énergie les scientifiques ukrainiens et leurs homologues palestiniens. Agissez ! La responsabilité de l’Académie — et la vôtre — est de faire preuve d’une conscience universelle, et non d’une éthique sélective.
Source et liste des signataires sur le site de l'AURDIP : https://aurdip.org/gaza-le-silence-selectif-de-lacademie/
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