Le Freedom Theatre et les 80 ans de La “Ferme des animaux“ d'Orwell
La résistance culturelle à Jénine
par Mustafa Sheta, directeur général du Freedom Theatre, août 2025
Le 17 août 2025, le monde commémore le 80e anniversaire de “La Ferme des animaux“, le roman de George Orwell, allégorie politique qui dénonce la corruption du pouvoir, les menaces qui pèsent sur les libertés et la trahison des idéaux révolutionnaires. Son message reste fortement d'actualité, en particulier en Palestine, où la société est systématiquement confrontée à l’oppression, aux déplacements de population et à l'effacement acharné de sa culture et de son identité. Pour le Freedom Theatre du camp de réfugiés de Jénine, “La Ferme des animaux“ n'était pas seulement une référence littéraire, mais un instrument fondamental de résistance culturelle. C’était la production inaugurale du Théâtre en mars 2009 qui matérialisait la force transformatrice de l'art sous occupation.
Fondé en 2006 par Juliano Mer-Khamis, Zakaria Zubeidi et Jonatan Stanczak, le Freedom Theatre est devenu un lieu privilégié où les jeunes Palestinien·nes pouvaient exprimer leur créativité, exercer leur imagination et éprouver leur capacité d'action. À l’intérieur du camp de réfugiés de Jénine, espace sous occupation, marqué par la précarité, et subissant d’incessantes attaques traumatiques, le théâtre est devenu un refuge pour l'expression et la pensée critique. En 2008, Le centre de formation du Freedom Theatre a accueilli sa première promotion d'étudiant·es, qui allait devenir le noyau dur de la première création. Ces jeunes comédien·nes, dont la vie avait été marquée par le conflit et le déplacement, ont apporté un sentiment d'urgence et d'authenticité au récit d'Orwell, transposant ses thèmes universels dans le contexte palestinien.
Le choix de “La Ferme des animaux“ comme production inaugurale était à la fois artistique et ardemment politique. Le récit d'Orwell, dans lequel des animaux renversent un tyran pour se retrouver confrontés à de nouvelles formes d'oppression, reflétait les frustrations de la société palestinienne, notamment les luttes internes pour le pouvoir et l’évolution complexe de l'occupation. Nabil Al-Raee, metteur en scène de l’adaptation, déclarait : « Nous voulions que “La Ferme des animaux“ parle directement de notre situation. Le parcours des animaux, de l'espoir à l'oppression, reflétait notre propre expérience et la nécessité d'une réflexion critique au sein de notre communauté. » Juliano Mer-Khamis avait ajouté : « Être libre, c'est d'abord être libre de toute contrainte interne. Ce n'est qu'alors que nous pouvons commencer à imaginer une véritable liberté pour nous-mêmes. »
Sous la direction de l'artiste créatrice portugaise Micaela Miranda, la troupe était composée de la première promotion d'élèves de l'atelier école du TFT : Rabea Turkman (RIP), Faisal Abu Al-Hayjaa, Ahmad Al-Rokh, Eyad Hourani, Mo'min Swaitat, Batoul Taleb, Zaina Zaarour, Dana Jarrar, Rami Hweel, Haroun Al-Rasheed, Qais Al-Sadi, Ahmed Matahan, Sami Al-Sadi, Mohammed Al-Sadi, Motaz Al-Norsi et Sharaf Al-Sadi qui ont adapté l'allégorie d'Orwell afin de refléter la réalité palestinienne, en y incorporant des références à l'Intifada, à la corruption interne et à “l'ennemi intérieur“, tout en faisant subtilement allusion à la pression externe de l'occupation.
La première de “La Ferme des animaux“ a été menacée d’emblée. Quelques jours avant l'ouverture, un incendie criminel s’est déclaré au théâtre, confirmant la prise de risques inhérents à la confrontation avec des structures de pouvoir établies et soulignant les contraintes sociétales. Pourtant, malgré ces risques, la représentation a été maintenue, attirant un public venu de toute la Palestine occupée. Son succès a démontré que le théâtre pouvait servir d'espace de dialogue, de réflexion critique et d'émancipation culturelle, affirmant la notion de résistance comme éthique au cœur de la mission du Freedom Theatre.
Les dimensions culturelles et politiques de cette création inaugurale furent considérables. En présentant “La Ferme des animaux“, le Freedom Theatre a tissé des liens entre la réalité quotidienne des palestinien·nes et l'espace culturel et créatif international, affirmant ainsi l'universalité des luttes contre l'oppression. Le théâtre est devenu une plateforme où les voix palestiniennes pouvaient s'exprimer, contester l'injustice et cultiver la solidarité au-delà des frontières, soulignant que l'art est à la fois une forme de pensée et de résistance.
Au début de l'année 2025, le camp de réfugiés de Jénine a connu une escalade catastrophique des opérations militaires israéliennes. Le camp a été déclaré zone militaire fermée, des dizaines de milliers de résident·es ont été expulsé·es, des maisons et des infrastructures ont été détruites, et le siège principal du théâtre a été saisi et transformé en poste militaire. Les routes, les institutions civiles et les espaces culturels ont été ravagés, rendant le camp en grande partie inhabitable. Malgré ces circonstances dévastatrices, le Freedom Theatre poursuit son travail depuis un lieu provisoire, la “Freedom Theatre Academy of Performing Arts“, dans la ville de Jénine, en organisant des spectacles, des ateliers et des programmes de formation qui renforcent l'identité culturelle palestinienne et préservent la mémoire collective.
Quatre-vingts ans après sa publication, “La Ferme des animaux“ reste une allégorie puissante, qui fait écho aux luttes des Palestinien·nes vivant sous occupation. La production inaugurale du Freedom Theatre illustre le rôle de l'art dans la lutte contre l'oppression, la promotion de la pensée critique et le maintien de l'espoir. Elle démontre que la culture n'est pas seulement le reflet de la société, mais une forme active de résistance, capable de contester l'injustice et d'amplifier les voix qui refusent d'être réduites au silence. À travers la narration et la performance, le Freedom Theatre affirme la pertinence durable de l'œuvre d'Orwell et soutient que même dans les conditions les plus difficiles, l'art peut éclairer la vérité, préserver la dignité et inspirer la liberté.
-----
https://thefreedomtheatre.org/
https://www.facebook.com/thefreedomtheatre/
https://www.instagram.com/thefreedomtheatre/
info@thefreedomtheatre.org
-----
Traduction JCP
-----
Caryl Churchill censurée
Les principales personnalités du théâtre britannique accusent le Prix européen d'art dramatique...
Ne détruisez pas le nom de Brecht !
Lettre ouverte de Finn Iunker à propos de la prochaine conférence à Tel Aviv organisée par...
Commencer un rêve à Jénine, tenter de devenir une réalité,
rejoindre Gaza.
Communiqué du Freedom Theatre de Jénine, à propos de sa nouvelle création "Metro Gaza"02 janvier...
De Gaza à Jénine,
nous devons résister au génocide culturel commis par IsraëlPar Zoe Lafferty, The new Arab,...
Message du Freedom Theatre, 31 décembre 2023
L'équipe du Freedom Theatre souhaite, en cette fin d’année 2023, remercier ses amis et alliés du...
La jeunesse contre l'invasion (1)
Extraits de “LA JEUNESSE CONTRE L'INVASION : SUR LE SOL DE NOTRE PATRIE, DE JENIN À GAZA“, série...