Il ne reste que moi.
par Maram* de Gaza
Relevé sur le site We are not numbers, 30 mai 2025
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Illustration : Ghaidaa El Helou, Flyers for Falestin
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Je m'appelle Maram, je suis de Gaza. Je suis née dans une ville qui n'a jamais connu la paix. J'ai grandi dans le bruit des bombardements et des murs qui s'effondrent, dans des quartiers où l'odeur de la poudre est plus intense que celle du pain. Je me suis habituée à la peur dès mon plus jeune âge, j'ai appris à sourire même quand tout s'écroulait autour de moi.
Mais ce qui est arrivé après le 7 octobre ne ressemblait en rien à ce que j'avais connu auparavant. Ce n'était pas exactement une guerre, c'était autre chose, quelque chose de plus profond, de plus brutal, qui pénètre l'âme et fait disparaître les traits de la vie.
Dès les premiers jours de la guerre, j'ai perdu mon fils. Mon petit garçon. Celui que je pensais voir grandir accroché à ma robe. Il avait de grands yeux curieux qui ne cessaient de poser des questions, même quand il n'y avait pas de réponses. Un jour, il m'avait dit qu'il voulait construire des maisons plus solides que celles que nous avions perdues.
Il a disparu en un instant. Il n'y a pas eu d'adieu, je n'ai pas pu l'embrasser une dernière fois. Je l'ai cherché sous les décombres, j'ai crié son nom, j'ai serré dans ma main ce qui restait de sa chemise, me persuadant qu'il n'était que blessé. Mais la vérité, quand je l'ai découverte, était déchirante, aussi glaciale que le missile qui avait mis fin à ses jours. À partir de ce moment, ma voix a changé pour toujours, comme si mon cri avait arraché quelque chose au plus profond de moi-même, qui n’est jamais revenu.
Quelques jours plus tard, j'ai appris le meurtre de mon père. Il avait toujours été le dernier rempart derrière lequel je me cachais, même de ma propre douleur. Il était menuisier, avec des mains rugueuses et un cœur tendre : ses doigts savaient travailler le bois et caresser la tête d'un enfant avec la même délicatesse. Il croyait que la dignité était la seule richesse qui valait la peine d'être préservée.
Sa mort n'était pas inattendue – la mort n'est jamais une étrangère à Gaza – mais je n’avais jamais imaginé la vie sans lui. Je me tournais vers lui dans les moments d’abattement, je pleurais silencieusement à ses côtés, son silence seul suffisait à m’apaiser. Quand il est parti, aucune larme ne m'est venue. J'avais l'impression d'être pétrifiée à l'intérieur.
Puis j'ai perdu mon frère. C'était lui le plus drôle, il transformait toujours le retentissement des sirènes en blagues et les nuits froides en chansons de feu de camp. Il voulait devenir enseignant, pour changer les mentalités, à défaut de pouvoir changer le monde. Nous avons grandi ensemble sous le siège, partageant le pain, la peur et les rires. Il me disait toujours : « N'aie pas peur, Je suis là ! » Mais lui aussi est parti. Je n'ai pas crié, je n'ai pas pleuré, je n'ai rien ressenti. La perte est devenue familière, un schéma qui se répète sans fin.
Et puis, mon mari... l'homme qui embrassait ma peur et me réconfortait d'un simple regard. Il avait perdu tout ce qu'il avait entrepris : notre maison, construite brique par brique, les économies mises de côté pour l'avenir de nos enfants et même le petit carnet de rêves qu'il gardait caché dans son tiroir. Il avait une voix qui pouvait calmer les tempêtes et des mains qui étaient toujours chaudes, même dans les abris les plus froids. Il rêvait d'ouvrir une boulangerie et de donner à chaque pain le nom d'un membre de la famille.
Puis l'endroit où nous nous abritions a été pris pour cible, et il a été parmi les victimes. Je me souviens de ses derniers mots : « Nous survivrons... nous vivrons. » Je voulais le croire, mais quelque chose en moi savait déjà. Il a laissé derrière lui un vide que personne ne peut combler.
Je suis toujours là. Je respire, oui, mais mon existence n’est plus la même qu’avant. Tous ceux que j'aimais sont devenus des martyrs. Et pourtant, je ne suis pas devenue une ombre. Je suis toujours une mère, une fille, une sœur, une épouse.
Ce n’est pas parce que je suis la plus forte que j’ai survécu, mais parce que leur histoire doit être racontée. Je porte leurs noms dans mon cœur et ils marchent avec moi à chacun de mes pas. Je suis devenue leur voix, la mémoire de leurs visages, un amour qui n'a pas pris fin avec leur départ.
J'ai appris qu’être forte ne veut pas dire ne pas pleurer, mais persévérer, même à travers les larmes. Cuisiner des plats que personne ne mange, laver des vêtements que personne ne porte. Et me dire : « Je suis toujours là ».
Là pour vous, mon fils, mon père, mon frère, mon mari. Et pour Gaza.
Je m'appelle Maram, je suis de Gaza. À partir des cendres et des décombres, j'essaie de créer de la lumière. Avec mes larmes, je plante les graines d'un nouvel espoir. J'apprends aux enfants à aimer, à rêver, à surmonter les difficultés, même dans les moments les plus difficiles.
On pourrait penser que j'ai tout perdu, mais je n'ai pas perdu mon humanité. Je continue à croire qu'après chaque nuit, un nouveau jour se lève. Et dans mon cœur, aussi brisé soit-il, il y a encore de la place pour la vie et pour un avenir meilleur.
Il ne reste que moi pour raconter votre histoire.
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* Maram, de Gaza
Maram est étudiante en ingénierie des systèmes informatiques à l'université Al-Azhar de Gaza, où elle devrait obtenir son diplôme en 2025. Passionnée par la technologie, la programmation et la résolution de problèmes, elle possède des compétences en programmation Python et en développement web utilisant HTML, CSS et JavaScript de base. Elle est impatiente d'acquérir une expérience pratique dans le développement de logiciels et la conception de systèmes.
De langue maternelle arabe, elle possède de bonnes compétences en lecture et en écriture en anglais. Elle aime apprendre de nouveaux langages de programmation et travailler sur des projets techniques innovants. Elle s'intéresse également beaucoup à l'écriture.
> Le nom de famille de Maram n'est pas divulgué pour des raisons de sécurité personnelle.
Mentor : James Attlee
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De jeunes écrivain·es palestinien·nes, principalement de Gaza, délivrent leurs récits et plaident pour leurs droits d'humains. "We are not numbers" met aussi en relation ces jeunes écrivain·es avec des écrivain·es anglophones reconnu·es du monde entier.
« Il n’existe pas de “sans voix“. Il n'y a que des personnes délibérément
réduites au silence ou systématiquement non écoutées. »
Arundhati Roy, écrivaine et militante indienne.
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Traduction : JCP
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